J’ai regardé en replay un documentaire sur Arte intitulé « L’enfance sous contrôle », et je me suis sentie très mal à l’aise.
Lorsque j’écoutais ce psychologue canadien Richard E Tremblay nous dire que l’on peut prédire dès l’âge de 3 ans- par des troubles des conduites – les tendances à la délinquance d’un enfant – je sentais la révolte gronder en moi. Et lorsqu’il ajoute qu’il fallait s’en occuper – par des mesures médicales et psychologiques- au plus tôt, je grognais encore plus ! Je vais essayer de développer mon point de vue…
La science comme justification
J’aime la science. Ou plutôt les neurosciences et la biologie humaine. Je trouve cela d’autant plus passionnant que les récentes techniques d’imageries médicales nous permettent d’en savoir plus sur le fonctionnement de notre cerveau en pleine action.
Ici, la science vient en appui du fait que plus on a des comportements « hors normes » à 3 ans, plus on risque de devenir délinquant. Le fameux DSM * réduit de plus en plus le concept de normalité si bien que de plus en plus de personnes seraient concernées par les troubles mentaux ( et donc par des traitements médicamenteux CQFD)
Sauf que …
Les critères donnés pour ce fameux » trouble des conduites » ( du type « 7 sortes de violences envers les humains et animaux » » 3 types de règles enfreintes ») sont des critères non médicaux , et seulement d’ordre moral, social ou politique. Finalement le symptôme devient la menace sociale que la personne représente potentiellement….
Si l’on reste du côté biologique des choses c’est oublier la neuroplasticité, cette capacité de notre cerveau de toujours se « réaménager » en fonction de nos apprentissages et expériences de vie. C’est oublier aussi l’épigénétique, cette science qui montre qu’un gène peut ou non s’exprimer en fonction de l’ environnement.
L’inné et l’acquis, l’éternel débat
Lors de ma première année à la faculté de psychologie à Lyon , tout un trimestre était dédié à ce débat. Vient-on au monde pré programmés pour certaines choses et lesquelles? Dans quelle mesure notre environnement influe sur notre devenir?
Là on nous sert la théorie dite déterministe ( en gros » tu es programmé pour…. ») du trouble des conduites de l’enfant qui engendrerait plus tard un délinquant. Et que cet enfant est à prendre en charge au plus tôt via un traitement médicamenteux et/ou une psychothérapie.
C’est oublié selon moi l’impact puissant de l’environnement sur notre développement , ainsi que la force des besoins liés à nos comportements.
En effet, on pourrait déjà penser aux quantités de sucres et autres ajouts de synthèse dans notre alimentation qui selon des études auraient un impact sur l’agitation, la concentration… ou encore, aux vaccins, de plus en plus nombreux, eux aussi suspectés d’influencer tant notre comportement que notre immunité générale. Au stress aussi, dans une société où le rythme effréné nous empêche de nous poser, d’intégrer, de partager vraiment.
Et la famille alors?
Et oui, l’environnement premier, de référence de l’enfant c’est sa famille ! Loin de moi l’idée de rendre les parents coupables des troubles de leur enfant. En grande majorité, si ce n’est pour la totalité d’entre eux, ces parents sont totalement démunis, épuisés, tristes et inquiets. Et peu aidés.
Parfois, ce sont des comportements typiques de l’âge de l’enfant face auxquels les parents se sentent complètement démunis. Et c’est justement entre 18 mois et 3 ans que ces comportements se manifestent, le « terrible two » selon une expression américaine. Bien sûr, certains enfants sont plus difficiles que d’autres, ont des colères plus fortes et explosives. Mais soutenir et former les parents à accompagner les émotions fortes- agréables et désagréables- les réussites et les échecs, soutenir les apprentissages et les comportements appropriés des enfants ne serait-il pas plus efficace que stigmatiser ces bambins ?
L’effet Pygmalion
Coller des étiquettes aux personnes les incitent à adopter les comportements liés à ces stigmatisations – le « caractériel », la « colérique », le » maladroit », la « princesse », la « chochotte », le « bagarreur »-qu’il est difficile ensuite de sortir de ces images figées…. Voici un texte de Georges-Henri Arenstein, Psychologue, sur l’effet Pygmalion :
« Pygmalion est un roi légendaire de la mythologie grecque. Il était roi de Chypre. Sculpteur à ses heures, il tailla dans la pierre la statue d’une femme superbe et finit par tomber amoureux de sa propre sculpture. Il demanda donc à Aphrodite ( la déesse de la beauté et de l’amour) de donner la vie à sa statue, ce qu’elle fit. Ensuite, il épousa sa propre statue devenue femme.
En 1913, l’écrivain irlandais Georges Bernard Shaw publia une pièce de théâtre du même nom: Pygmalion.
Cependant, l’effet Pygmalion ( terme plus juste que syndrome) fait référence à une expérience célèbre réalisée par le psychologue américain Rosenthal. Curieusement, peu de livres en font mention.
Au début d’une année scolaire, il désigna à un professeur deux élèves de sa classe comme étant particulièrement brillants. Et ces élèves finirent premiers de classe! Tout se passe comme si les attentes non formulées du professeur demeuraient agissantes auprès des élèves. Des attentes négatives produisent l’effet inverse. Ceci démontre que les individus se comportent souvent de la manière attendue par une personne significative.
On a désigné ce « biais » par le nom de l’effet Pygmalion car le roi de Chypre s’attendait tellement à voir sa sculpture vivre sous ses mains que …… c’est ça qui arriva ( avec la complicité d’Aphrodite).
On dit « effet Pygmalion » ou « effet Rosenthal ». Le plus curieux est que l’effet Pygmalion est également à l’œuvre avec les rats de laboratoire et autres animaux domestiques. Si vous êtes fermement convaincu que votre chien est doué d’une intelligence supérieure, il apprendra bien plus vite que si vous êtes convaincu du contraire. »
Stigmatiser = programmer
Les enfants que l’on regarde comme de futurs délinquants risquent donc fort de suivre cette voie, juste parce qu’on s’y attend.
En conclusion, pour soutenir ces enfants, les habiletés de la parentalité positive me semble très appropriées. La communication bienveillante et respectueuse de chacun serait sûrement très aidante , pour les adultes accompagnant ces enfants plus en mouvements que les autres, qu’ils soient parents, éducateurs…
– Accueillir les émotions : pour les décharger et aider l’enfant à les comprendre et à les exprimer de façon plus socialement acceptable (en fonction des capacités de son âge)
– Favoriser l’autonomie et l’estime de soi : faire confiance à l’enfant, soutenir ses réussites en prenant le soin de les décrire, lui proposer des choix, complimenter ses comportements adaptés, soutenir ses efforts, ne pas lui supprimer l’espoir.
– Sortir l’enfant des étiquettes : par la description, souligner les comportements ( même brefs) recherchés, se souvenir pour lui de ses réussites…
Une multiplicité d’outils de communication, qui s’apprennent et ont aussi l’énorme avantage pour les parents de se sentir plus utiles et de favoriser la qualité de la relation parents/enfant.
D’ailleurs, j’adorerais monter un projet en ce sens- les ateliers « Parler pour que les enfants écoutent, écouter pour que les enfants parlent »- pour les parents et accompagnants de ces enfants déclarés comme ayant des « troubles de conduites »
Alors, les étiquettes, on arrête?
NB : je souhaite souligner ici que je ne minimise en aucun cas la très grande détresse des parents venant consulter parce que la vie à la maison devient presque insupportable, tant l’enfant présente de l’agitation, un manque de concentration, des maladresses, des colères fortes… . Je pense simplement que la psychothérapie de l’enfant et les traitements médicamenteux me semblent devoir être le dernier recours, ou en cas de réelle pathologie psychiatrique détectée, car ces méthodes enferment l’enfant comme « ayant un problème ». Je demeure donc convaincue qu’une autre approche relationnelle, une autre façon de communiquer peuvent être un formidable point de départ pour aider l’enfant à modifier ses comportements. En effet, les parents sont ceux qui ont le plus à coeur le bien être de leur enfant, ce sont eux également qui sont les plus présents dans son quotidien sur le long terme, et donc une formidable ressource potentielle pour l’enfant.
* pour ceux qui ne connaissent pas : le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) , est un manuel statistique et diagnostique des troubles mentaux élaboré par la puissante Association Américaine de Psychiatrie. Elle y répertorie les troubles mentaux et les moyens de les traiter. A sa création dans les années 50 on ne dénombrait que 60 pathologies mentales, contre plus de 400 aujourd’hui… d’ailleurs, en 1973 l’homosexualité en faisait encore partie. Et sur la dernière version, l’éjaculation précoce et le syndrome pré-menstruel ont été ajoutés….